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Les intentions de ce Festival ? Donner à tous les publics, petits et grands, le goût de la lecture, leur permettre de s’exprimer à travers des ateliers artistiques et de l’écriture, échanger, créer et découvrir !

Une tranche de vie de Felipe

 «  Aujourd’hui, nous sommes le  19 septembre 1954.

Comme chaque jour, je rejoins Pablo, Augusto y Gimenez.

 Nous nous rendons au chantier. Nous commentons la victoire du Real sur le Barça.  Gimenez qui est pour l’Athlético s’en fout. Pablo nous annonce qu’une Grève est prévue pour Octobre. Il voudrait qu’on sabote les chantiers. Une discussion s’engage avec Gimenez qui a peur qu’on soit accusés, nous les rouges ! quel pelota, celui-là !  Je ne suis pas pour le sabotage car on perdrait nos salaires.  

Mari-Tere  m’a préparé un bocadillo de tortilla, ma bouteille d’eau et un fruit. Nous longeons le port, la Loire. Le ciel, gris, annonce qu’il va encore pleuvoir. Cette grisaille aussi nous tue à petit feu. QU’il est loin notre soleil, qu’elle est loin notre lumière !   Déjà, nous entendons, les bruits  des meuleuses industrielles, des perceuses. Nous apercevons les wagons qui apportent les tôles, la ferraille.

C’est une véritable ruche bourdonnante et bruyante de l’autre côté.  Nous apercevons les jets lumineux des ponceuses. Nous attendons notre tour pour passer de l’autre côté de la Loire. Et, nous regardons ce pont transbordeur immense, imposant.

 Les chantiers nous espèrent  tel un ogre gigantesque prêt à nous  happer, broyer, mâcher pour fabriquer leurs foutus navires sur lesquels nous ne naviguerons jamais. Nous nous refugions dans le silence : notre exil ! Certains diront qu’on a eu de la chance de trouver ce boulot. Certains penseront qu’on aurait dû nous renvoyer de l’autre côté des Pyrénées : on le sent dans leur regard : l’ami Paco se chargera de nous remettre dans le droit chemin !  Ce sont les mêmes pourtant qui défendent la liberté et la démocratie ! Nous les avons défendu ces valeurs : avec notre sang, nos tripes.

Je me souviens tout en suivant le quai de la Fosse :   Qu’il est loin le temps où nous plongions dans les eaux transparentes del rio, où nous dévorions les morceaux de pastèque tout en avalant les  tranches fines du jambon… Et Je regardais furtivement le peu que je pouvais apercevoir des dessous de Mari-Tere  qui, de son côté, parlait, riait dans le coin des femmes. … 

Nous embarquons, à présent, sur la passerelle du pont transbordeur qui nous fera traverser la Loire  telle le Styx. Je sens les douleurs dans mon dos qui m’enserrent les reins. Nous n’osons pas parler en espagnol. Les autres ouvriers se taisent. Quelques uns nous reconnaissent, nous saluent. D’autres se ferment dans le silence.

Aujourd’hui, nous sommes le 19 Septembre 1992, je suis assis sur un banc près de la Butte St-Anne. Je regarde les chantiers Dubigeon abandonnés, en ruine, en friche. J’y vois les grues, les ateliers et ces voies ferrées vides, silencieuses. Les vitres sont cassées probablement par les gosses, les toits menacent de tomber, les mauvaises herbes  envahissent … on se souviendra du Polynésie, du Nélée, du Noé, du Circé.

Mais se souviendra-t-on des hommes qui les ont fabriqués ? Des années à trimer, à construire ces foutus bateaux, navires, paquebots  pour,   aujourd’hui, qu’il ne reste qu’un paysage désolé. Devant moi,  La drague ne cesse de creuser la Loire. C’est comme si elle souhaitait conserver une mémoire : celle des bruits du chantier, comme si elle ne voulait pas que s’éteignent tout à fait les feux de la rampe !

J’aperçois mon petit fils qui s’approche en souriant. Il tient son ballon. Quelques copains l’accompagnent. Il porte fièrement son maillot du FCN . Saura-t-il un jour ?

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